La malédiction du porte-avions Kouznetsov
Les péripéties liées à la modernisation de l'unique porte-avions russe, l'Amiral Kouznetsov, se poursuivent. Après les obstacles d'ordre financier, voilà les mésaventures techniques. Le dock flottant sur lequel était réalisée une partie des travaux d'entretien et de modernisation du PA a coulé dans la nuit de lundi à mardi, alors que l'Amiral Kouznetsov était en train de le quitter. Situé à l'Usine de réparation navale N°82 (Rosliakovo, région de Mourmansk), le dock flottant 50 (ПД-50) a coulé tandis que deux grues se seraient abattues sur le PA, dont l'une causant de "légers dégâts" sur le pont du navire. Selon le blog de l'usine Zvezdotchka, qui a passé contrat auprès de l'Usine N°82, les dommages seraient même "inexistants". Le Kouznestov a néanmoins pu être remorqué jusqu'à l'Usine de réparation navale N°35 de Zvezdotchka, située à proximité du lieu de l'accident, où sa modernisation doit se poursuivre.
Un problème majeur pour la marine russe
Ce qui pourrait rester un malheureux fait-divers va cependant poser un problème majeur à la marine russe : le PD-50 était le seul dock flottant du genre en Russie, capable d'accueillir le PA pour une IPER. Commandé par l'URSS en 1979 auprès de la Suède, le PD-50 a été construit par Götaverken Arendal (qui appartient aujourd'hui à Damen) à Göteborg. Il disposait d'une longueur de 330 mètres, d'une largeur de 88 mètres et d'une hauteur de 6.6 mètres. Il pouvait accueillir une charge maximale de 80 000 tonnes.
La marine russe risque donc d'être confrontée à un défi de taille pour les futurs entretiens de son PA car il n'existe pas d'alternative au PD-50 en Russie. Les docks flottants construits dans les années 1970 et 1980 en URSS et encore en service aujourd'hui peuvent en effet accepter une charge maximale qui dépasse rarement les 10 000 tonnes.
Quelles pistes ?
Une option "théorique" serait celle de la cale sèche du chantier naval Zaliv, à Kertch (Crimée). Cette dernière est la plus grande cale de Russie depuis que la péninsule a été annexée par Moscou en 2014. Longue de 354 mètres et large de 60 mètres, elle paraît plus étroite que le PD-50. Il existe toutefois un obstacle de taille : les PA ne sont pas autorisés à croiser en mer Noire, ni à franchir les Détroits turcs, en vertu de la Convention de Montreux (1936). Construit à Nikolaïev en Ukraine, les PA soviétiques contournaient cet obstacle légal en étant pompeusement requalifiés de "croiseurs lourds porte-aéronefs". En outre, la coutume voulait qu'ils sortent du bassin pontique pour ne pas y revenir. Vu que le renflouement du PD-50 paraît exclu à ce stade, il serait aussi possible d'utiliser les infrastructures du géant Sevmash (Severodvinsk), dont les cales sont cependant déjà bien chargées. Cet accident donnera toutefois un argument à ceux, parmi les industriels et les marins, qui appellent à la construction d'infrastructures dédiées aux bâtiments militaires de gros tonnage en Russie.
Un accident à charge contre OSK
Par ailleurs, cette mésaventure ne va pas faire les affaires de Zvezdotchka, et donc de OSK (consortium russe des constructions navales) auquel appartient le chantier naval, déjà sous le feu des critiques compte-tenu de son piètre bilan pour le plan d'armements 2011-2020. En outre, Zvedotchka et le ministère russe de la Défense sont devant les tribunaux au sujet du coût de la refonte du BS-64 Podmoskovié. L'enjeu pèse 7 milliards de roubles (environ 93 millions d'euros). L'état du PD-50 laissait manifestement à désirer. L'Usine N°82, qui appartient à une filiale de l'énergéticien Rosneft, n'a toutefois pas jugé bon de le remettre à niveau avant d'admettre le PA. Il y a donc eu, outre un dysfonctionnement avéré par le Comité d'enquête dans la manipulation des installations, des négligences dans la maintenance des infrastructures. Manque de fonds et erreur humaine sont ainsi à l'origine d'un accident qui vient s'ajouter à la liste des mésaventures qui frappent les bâtiments de la marine en entretien. Seule différence : il ne s'agit pas cette fois d'un sous-marin (cf. incendie du K-84 Ekaterinbourg en décembre 2011). Notons par ailleurs que les navires neufs en construction ne sont pas non plus épargnés. En juin 2016, c'est le dragueur de mines Gueorgui Kourbatov du Projet 12700 qui était touché par un incendie survenu au chantier Srednye Nevski, près de St Pétersbourg, où il est en cours de construction. Sa livraison, qui aurait pu intervenir en 2018-2019 a glissé en 2020-2021.
Enfin, ce qui a été qualifié de "légers dommages" pourrait dans les faits s’avérer moins léger que prévu et retarder le processus de modernisation du PA, dont le retour au service actif est prévu en 2021. Aux dernières nouvelles, cet accident n'affectera toutefois pas le délais de modernisation de l'Amiral Kouznetsov.
MàJ :
10 janvier 2019 : le dock flottant PD-41, situé à l'usine de réparation navale n°30 (Primorié, Extrême-Orient) pourrait accueillir le PA, dans la mesure où il dispose d'une capacité maximale de 80 000 tonnes. Autre piste possible : la Chine, et les chantiers de Dalian, qui ont l'expérience acquise avec le PA chinois Lianoning (ex-PA soviétique).