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La marine russe hybride ses petits navires

24 Mars 2020 , Rédigé par Igor Delanoë Publié dans #Projet 22800, #Projet 21631, #Flotte de la Mer Noire, #Projet 22160

Le spectre des missions remplies par les nouveaux petits navires lance-missiles du Projet 21631 et les patrouilleurs du Projet 22160 est appelé à s'élargir. La flotte de la mer Noire, seule formation à avoir reçu en dotation des unités issues de ces deux projets, va en effet tester un nouveau concept d'emploi de ces bâtiments.

Des corvettes pour des opérations de minages

Les petits navires lance-missiles du Projet 21631 (type Buyan-M) seront équipés de mini-robots submersibles capables d'immerger des mines "intelligentes" aptes à opérer la distinction "ami/ennemi" sur des bâtiments croisant dans leur champ. Selon Izvestia, des essais en ce sens auraient même déjà été réalisés. Ainsi, ce qui était une "corvette" capable néanmoins de tirer des missiles de croisière Kalibr jouera désormais le rôle de "mouilleur de mines" de fortune. Il s'agit d'un cas d'hybridation d'un type de plateforme navale déjà en exploitation dans la mesure où les flottes de la mer Noire (Vishniy Volochek, Orekhovo Zuevo et Ingushetiya) et de la Baltique (Zeleniy Dol, Serpukhov) ainsi que la flottille de la Caspienne (Grad Svyazhesk, Uglitch et Velikiy Ustiug) ont déjà reçu des unités de ce type au cours des dernières années. Ces petits navires lance-missiles sont conçus pour évoluer dans les eaux côtières et dans les mers fermées, c'est à dire des environnements qui se prêtent bien aux opérations de minages liées à la mise en œuvre de blocus ou à des manœuvres d'interdiction. Quatre autres unités du Projet 21631 se trouvent à différents stades de construction à Zelenodolsk (Tatarstan).

Le MRK Orekhovo Zuevo à quai à Sébastopol, 8 août 2019. Crédit : site de la flotte de la mer Noire

Des patrouilleurs en détection avancée

Dans le même registre de l'hybridation, les patrouilleurs du Projet 22160 (type Vassili Bikov) sont appelés à jouer le rôle de "piquet radar" afin de traquer, identifier et marquer des cibles aériennes à servir aux systèmes de défense anti-aérienne (S-350 Vitiaz, S-400) basés à terre. L'idée est d'augmenter la survivabilité de ces systèmes en transférant la fonction radar sur les patrouilleurs (mobiles et plus agiles) qui seront à même de déterminer la "qualité" de la cible (leurre, hélicoptère, avion, drone etc.). Une unité côtière se transforme donc en sensor pour la défense anti-aérienne avancée. En déléguant cette fonction de détection avancée à un patrouilleur - qui plus est les patrouilleurs du Projet 22160 sont réputés être furtifs -, les batteries S-350 et S-400 conserveraient un avantage tactique car leur position serait alors plus difficile à établir par l'ennemi. Deux patrouilleurs du Projet 22160 - le Vassili Bikov et le Dmitri Rogatchev - sont déjà en service au sein de la flotte de la mer Noire ; quatre autres sont à différents stades de construction chez Zaliv (Kertch) et au chantier naval Gorki (Tatarstan).

Le patrouilleur Vassili Bikov  à l'approche de la rade de Sébastopol, 5 avril 2019. Crédit : site de la flotte de la mer Noire

Une polyvalence symptomatique des défis de production

Cette augmentation de la polyvalence de ces plateformes pourrait s'étendre aux petits navires lance-missiles du Projet 22800 et, à termes, être déclinée à un théâtre maritime extrême-oriental comme celui de la mer du Japon. La polyvalence des plateformes est recherchée par la marine dans le contexte de pression budgétaire pour la flotte étant donné les orientations du programme d'armement 2018-2027 qui ne font pas des forces navales une priorité.

Au demeurant, ces dernières hybridations de plateformes sont révélatrices des défis structurels auxquels fait face la marine. Tout d'abord, en matière de guerre des mines. L'équipement de petits navires lance-missiles avec des capacité de minage traduit un manque critique en matière de bâtiments dragueurs et mouilleurs de mines. La commande d'une série de dragueurs du Projet 12700 Alexandrit devait renouveler ces capacités. Or, il semblerait que des retards soient à prévoir en raison de problèmes liés à la production indigène des moteurs diesels (M-503M) fabriqués (péniblement) par Zvezda (Saint-Pétersbourg). A ce jour, la flotte russe a reçu trois unités : deux dans la flotte de la mer Noire (Ivan Antonov, Vladimir Emelianov) et une en mer Baltique (Alexandre Oboukhov). Il serait en tout question d'en commander une douzaine, tandis que quatre bâtiments se trouvent à différents stade d'achèvement au chantier naval Sredniyé Nevski.

Le dragueur de mines Ivan Antonov le 22 octobre 2019. Crédit : site de la flotte de la mer Noire

 

Déployer en sensor des patrouilleurs comme ceux de type Vassili Bikov en fait des cibles de choix pour les forces ennemies. Ces patrouilleurs sont patriculièrement vulnérables aux menaces sous-marine et aérienne. S'ils peuvent mettre en œuvre un hélicoptère Ka-27PS de lutte ASM, ils ne sont en revanche équipés que d'un sonar anti-saboteur. Leur défense anti-aérienne est rapprochée dans la mesure où se trouvent à bord des systèmes portatifs Igla. Les petits navires lance-missiles des Projets 21631 et 22800 disposent également d'une pauvre protection ASM : aucune pour les patrouilleurs du Projet 22800 et un sonar Anapa-M anti-saboteur pour ceux du Projet 21631. L'un comme l'autre doivent être équipés d'un système de défense anti-aérienne Pantsyr navalisé, mais cela ne concerne pas les premières unités déjà en service. Enfin, la livraison des unités du Projet 22800 risque de connaître de nouveaux retards critiques en raison de l'incapacité des industriels russes à fournir des moteurs diesels adéquats. L'Usine de Kinguissep et le 51e Institut central des technologies de construction et de réparations navales ont d'ores et déjà annoncé que, faute de documentation technique fournie en temps et en heure par Zvezda, les livraisons prévues pour 2021-2022 connaitraient du retard. 

Les insuffisances présentées par ces unités seraient surmontables par le nombre, c'est à dire si la flotte russe, à l'image de la flotte soviétique, déployait une myriade d'entre elles avec un objectif de saturation de zone. Or, ce schéma ne s'applique plus aujourd'hui. L'enjeu est bien celui de passer à la production en série (et non de masse) de bâtiments dont l'équipement sera évolutif, ce qui distinguera les unités d'un même projet entre elles (causant, par ailleurs, des délais supplémentaires pour l'entretien des bâtiments). La guerre des mines et celle de la lutte ASM (déjà étudiée sur notre blog) constituent deux goulots d'étranglement dont les annonces portant sur l'hybridation des plateformes des Projet 21631, 22160 et 22800 sont les symptômes. A ce stade, seuls le systèmes de défense basés à terre sont à même de leur fournir une protection anti-aérienne suffisante tout en augmentant leur protection anti-surface.

 

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