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Flotte russe : la voie vers la continentalisation

9 Septembre 2016 , Rédigé par Khan Publié dans #Chantiers navals

Flotte russe : la voie vers la continentalisation

Tandis que la pleine réalisation du volet naval du plan d'armement 2011-2020 paraît depuis longtemps compromise, de nombreuses questions entourent déjà les enjeux du prochain plan d'armement. A quoi doit s'attendre la flotte russe ?

 

De nouveaux déterminants

Les plans d'armements étant mis au point tous les 5 ans et portant sur une période d'une dizaine d'années, le nouveau plan d'armement aurait du être mis en œuvre à compter de 2016, pour une durée allant jusqu'à 2025 (le précédent portant sur la période 2011-2020). Or, aucun plan n'a été annoncé, et cela ne devrait guère être le cas avant 2018, année électorale en Russie (élection présidentielle), pour une période s'étalant jusqu'à 2025, voire au-delà. Ce décalage serait du à une lutte entre les structures de force d'une part, et les grands argentiers de l’État russe, d'autres part, ce qui a contraint le Kremlin à "botter en touche", et à repousser la prise de décision.

Les conditions prévalant au moment de la mise au point du plan d'armement 2011-2020 (soit la fin des années 2000) n'existent plus aujourd'hui : le prix du baril de brut s'établit désormais péniblement autour des $50, et la croissance économique serait au mieux à 1% ou 2% au cours des années à venir. Le budget de la défense russe, en expansion continue (en valeur absolue) tout au long des années 2000, a connu ses premières coupes budgétaires dès 2015, et il devrait en être de même jusqu'en 2019 : le ministère russe des Finances a déjà proposé de diminuer les dépenses de défense de 6% sur la période 2017-2019 par rapport au budget 2016 (lui-même déjà amputé de 5%). Les relations avec l'Occident sont durablement endommagées depuis la crise ukrainienne, excluant toute coopération militaro-technique en matière de haute-technologies à moyen terme. En outre, le complexe militaro-industriel ukrainien a mis fin à sa coopération avec l'industrie russe de la défense, ce qui prive la Russie d'un certain nombre de technologies indispensables pour la mise en œuvre du programme 2011-2020, notamment en matière de constructions navales. Il s'agit là des conditions qui devraient déterminer l'élaboration du prochain plan d'armement, même si des correcteurs devraient s'appliquer pour les aspects économiques. La période faste des années 2000 est bien terminée, et la pression économique provoque des luttes d'influence au sein de l'élite politico-militaire et industrielle.

Le mirage des objectifs

La nomination de l'ancien commandant en chef de la flotte, l'amiral Viktor Tchirkov, au poste de conseiller en chef près le président d'OSK - le consortium russe pour les constructions navales - signifie que le Kremlin souhaite limiter les dégâts vis-à-vis de la réalisation du volet naval 2011-2020, et surtout, donner dès aujourd'hui de "bonnes habitudes" à OSK en vue de la réalisation du prochain plan d'armement. Le président russe a d'ailleurs déclaré - propos annonciateur - que 2020 correspondra à un pic pour les livraisons de nouveaux équipements dans le cadre du programme d'armement. La marine russe n'aura pas, à l' échéance de ce plan, 8 nouveaux SNLE du Projet Boreï, ni encore moins 7 SSGN du Projet Yasen, sans parler des frégates du Projet 22350. Certaines unités sont déjà admises au service actif, d'autres le seront, mais les objectifs ne seront pas remplis. Contrairement à OAK - le consortium russe pour les constructions aéronautiques -, le succès d'OSK reste très mitigé, comme l'atteste le nombre de démissions et de remplacements intervenus à la tête de cette structure au cours des dernières années. Toutefois, si les industriels partagent une part de responsabilité dans les retards à répétition de certains programmes, ils ne sont pas responsable de tout, et selon les experts, il faudrait encore une quinzaine d'années au tissu industriel naval russe pour récupérer de la période noire des années 1990 et du financements irrégulier des programmes navals qui caractérisait encore une partie des années 2000. Aujourd'hui encore, la R&D reste le parent pauvre du budget de la défense russe : elle représentait 3,5% du budget 2013, et depuis, elle a été réduite à peau de chagrin.

L'ébullition des projets liés au projet d'édification d'une flotte en eau bleue explique aussi la volonté du pouvoir de faire d'OSK un outil aussi efficace que ne l'est OAK pour l'aérien. Si les chances de voir le prochain plan d'armement intégrer la construction d'un porte-avions sont minces (ce qui pourrait être le cas du plan suivant), il serait en revanche possible de voir la mise sur cale du futur destroyer de nouvelle génération (le Lider) ainsi que celle de grands bâtiments amphibies (Priboï ou Lavina). Au-delà du triple défi économique, industriel et technologique que représenterait la mise en chantier de ces navires hauturiers pour la Russie, la question qui se pose est de savoir s'ils répondraient à un besoin exprimé par la marine russe.

La tentation de la flotte d'un Etat-continent

La marine russe est aujourd'hui une flotte assez largement littorale, disposant de capacités hauturières limitées lui permettant toutefois d'assurer une présence relativement continue mais peu intense dans certains points de l'océan mondial (notamment lors d'exercices, surtout dans la zone Asie-Pacifique). Les projets de nouvelles plateformes hauturières de surface évoqués jusqu'à présent laissent entrevoir un glissement à long terme du format actuel de la marine russe vers celui de groupe aéronaval centré autour de porte-avions (schéma anglo-saxon et français). Ce basculement océanique est-il toutefois justifié, au moment même où un débat entourant la pertinence de l'outil "porte-avions" anime la communauté des spécialistes et praticiens du naval aux États-Unis ? Les missions qui incombent/incomberont à la marine russe nécessitent-elles un; voire des porte-avions ? Quant au croiseur Lider, ne risque t'il pas d'être déjà obsolète lorsqu'il sortira des cales du chantier naval, après de multiples retards, dans les années 2030, voire 2040 ? Les intérêts ultra-marins de la Russie justifient-ils d'investir dans ces coûteuses plateformes ?

Parmi les documents d'orientation stratégiques publiés par l'administration russe ces dernières années, la doctrine maritime russe existe bien, mais il n'existe en revanche pas de doctrine navale. En outre, les flottes et flottilles russes sont intégrées au sein des districts militaires, ce qui écarte, ou en tout cas complique, toute planification stratégique purement navale. L’État-major russe ne se prépare d'ailleurs à aucune opération stratégique dans l'océan mondial (hormis les patrouilles de SNLE), ces fonctions ayant été déléguées aux commandements des districts militaires (qui sont des commandements stratégiques opérationnels unifiés). La mutation de l'organigramme de la chaîne de commandement russe n'explique cependant pas à elle seule l'aridité de la vision navale russe. La vision gorchkovienne de la marine soviétique continue, par défaut, de prévaloir sur un outil naval qui n'a plus vocation à remplir des missions globales. Les logiques financières (dans laquelle la marine russe sera perdante comparativement aux autres armes) et industrielles (sauvegarder et développer la VPK naval) tendent à se substituer en se concurrençant à une pensée stratégique navale à peine audible.

La crise syrienne pourrait faire pencher la balance en faveur de ceux qui, dans l'élite politico-militaire et industrielle russe, souhaite continentaliser de la marine de guerre russe. La flotte joue depuis le début de la crise syrienne un rôle de soutien logistique (unités amphibies des projets 775 et 1171), d'interdiction (croiseur Moskva et Variag) et de renseignement, auquel est venu s'ajouter en septembre 2015 une mission de combat pour quelques unités (corvettes lance-missiles, SSK) qui ont tiré des missiles de croisière Kalibr. Les corvettes du Projet 21631 sont des bâtiments prévus pour évoluer dans les eaux brunes (корабля ближней морской зоны) tandis que les SSK du Projet 0636.3 sont "plus à l'aise" dans les mers comme la mer Noire ou la mer Baltique, et n'ont en tout cas pas vocation à évoluer dans l'océan mondial. Ajouté à cela les difficultés rencontrées à intégrer sur certaines nouvelles unités les systèmes anti-aériens (Polyment-Redut), et l'on comprend que les unités de second et troisième rang ne sont jamais aussi efficaces que lorsqu'elles évoluent sous la protection de systèmes sol-air (S-300 ou S-400) ou anti-surface (Bastion) basés à terre. En outre, la nature de la crise a placé la marine dans un rôle subalterne à celui des forces aériennes, et tend à donner des arguments à ceux en Russie qui estiment que les projets de porte-avions et de destroyers relèvent plus de la politique et des enjeux de prestance, que de considérations opérationnelles. Autrement dit, la campagne syrienne ne se serait pas mieux portée si Moscou avait disposé d'un porte-avions ou de destroyers (elle ne s'en serait pas plus mal portée non plus).

 

Compte tenu des nouvelles réalités (contraintes économiques, verrous technologiques, absence de vision navale), et vus les enseignements navals de la crise syrienne, la logique voudrait que le prochain plan d'armement privilégie la mise en chantier d'unités de surface de second et troisième rang que les chantiers navals russes savent produire. Dans le même temps, une mise à niveau indispensable des chantiers concernés par la construction d'unités hauturières de surface lors du prochain programme (jusqu'à 2050) doit être entreprise si l'industrie navale militaire russe veut éviter un décrochage définitif dans ce secteur. C'est ce qu'elle espère éviter avec Lider.

Sources : Vedomosti, VPK, Tsamto...

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